Une Marseillaise au gout âcre

En France, on siffle la Marseillaise au Stade de France et, au lieu de gérer la crise financière, on en parle pendant plusieurs jours au plus haut sommet de l’Etat. En Israël, on subit des émeutes parce qu’un conducteur arabe de Saint-Jean-d’Acre roule à grande vitesse, la musique à fond, le soir de Yom Kippour. Si vous avez lu mon texte précédent, vous savez que, ce jour-là, l’ambiance est particulière et que, dans tout le pays, les enfants jouent au milieu de la rue comme si elle leur appartenait. D’ailleurs, ce soir-là, ce conducteur a failli écraser une petite fille.

Réagissant à ce qui ressemblait beaucoup à une provocation, volontaire ou non, les habitants juifs ont pris le conducteur à partie en lançant des pierres sur son véhicule. Se réfugiant dans un bâtiment annexe, il a sans doute alerté des amis, diffusant la rumeur qu’un lynchage était sur le point de se produire. Quelques minutes plus tard, une foule arabe arrivait dans le quartier, aux cris de “morts aux Juifs”, brûlant des voitures, cassant des vitrines.

Les nuits suivantes, des affrontements entre Juifs et Arabes israéliens ont conduits à des violences, des dégradations et des arrestations de part et d’autre.

Pour un nouvel immigrant juif dans ce pays, habitant une ville, Jérusalem, dont la proportion entre habitants arabes et juifs est semblable à celle de Saint-Jean-d’Acre (environ 2/3 de Juifs et 1/3 d’Arabes), un événement de ce genre s’apparente à un retour du réel. D’abord, il confirme que la cohabitation repose sur un modus vivendi fragile, et cela, même entre citoyens israéliens. Une étincelle peut mettre le feu aux poudres à tout moment, y compris dans une ville qui symbolise la coexistence depuis plusieurs dizaines d’années.

En France, la Marseillaise a été sifflée, mais les protestations restent au niveau de la rationalité. “Ces jeunes expriment un mal-être, c’est un cri d’appel au secours”, entend-on. Ici, les politiques de tout bord ont ajouté leur grain de sel, rendant la soupe plus ou moins mangeable. Les autorités arabes de la ville ainsi que le chauffeur se sont excusé publiquement. Ce dernier a admis que son geste avait pu blesser, mais que ce n’était pas là son intention. De même, les autorités de l’Etat ont demandé à ce que tous les responsables de dégradations (juifs comme arabes) soient arrêtés, ce qui s’est effectivement produit.

Conclusion : voilà un événement difficile à analyser avec mes yeux de jeune immigrant. J’ai bien senti l’importance de l’affaire, mais j’ai encore du mal à me faire une opinion concrète, délivrée des idéologies et des idées toutes faites. Bref, je prends conscience de mes lacunes dans la compréhension de la société israélienne: je n’ai fait dans le pays ni l’armée ni mes études. Or ce sont deux moments essentiels de l’intégration sociale. Je suis convaincu que nous allons progresser rapidement. Mais comme on dit en France : il y a encore du boulot.

source : Causeur