Yom Kippour c'est pour qui ?

Israël sort à peine de sa journée la plus solennelle de l’année. En effet, pour une grande majorité des habitants juifs du pays, cette journée que l’on appelle en Français le “Grand Pardon” représente la seule activité religieuse de l’année. Si on en croit la presse généraliste israélienne, 70 % d’entre vont même jusqu’à jeûner.

En effet, lors du Yom Kippour, on passe 25 heures (d’un coucher du soleil à la nuit du lendemain) à prier à la synagogue, à jeûner complètement, bref, à s’affliger.

En France, comme j’ai eu l’occasion de le dire, les juifs vivent les fêtes religieuses un peu en décalage avec le reste de la société.

En Israël, Kippour permet d’observer un phénomène très étrange : dans tout le pays, on dirait qu’on a coupé le son. Certes, les villes ont leur aspect presque habituel avec leurs maisons, leurs magasins, leurs routes. Mais on ne perçoit pas le moindre bruit artificiel, au point qu’en fermant les yeux on pourrait se croire en haute montagne. Ni voiture, ni camion, ni bus ne circulent. Il est vrai que, pour des raisons de sécurité, les Territoires ont été bouclés. Dans les rues de Jérusalem, on croise seulement quelques marcheurs en chemin vers les synagogues et des enfants, parfois très jeunes, juchés sur leurs vélos, qui ont bien compris que la route est à eux. Venus des quartiers arabes alentour ou bien d’autres quartiers juifs de la ville, ils profitent de cette journée pour faire de grandes ballades à bicyclette sur les grands axes de la ville. Et de même qu’à la montagne, on entend le bruit d’un ruisseau à 1 km, ici, on entend le garde-boue d’un vélo qui frotte, à plusieurs centaines de mètres.

On se croirait dans un film de Bergman, les fjords en moins. On cherche la télécommande pour “monter le son”, mais cela ne sert à rien. Comme dans le film de Bergman, il ne se passe rien1. Dès que l’on pénètre dans la synagogue, le sentiment d’étrangeté que l’on éprouvait dans la rue cesse. À l’intérieur, on n’observe pas au premier coup d’œil de différence notable avec ce qui se passe en France. Il y a les habitués, mais aussi ceux qui viennent moins souvent, voire une fois par an – les juifs de Kippour comme on les appelle parfois.

Et pourtant, il y a une sacrée différence. Mais avant de vous l’indiquer, je dois rappeler que le sionisme n’a pas seulement milité pour le retour des juifs sur leur terre, mais également, et ceci grâce à l’apport d’un certain Eliezer Perelman plus connu sous le nom de Eliezer Ben Yehuda (1858-1922), pour la revitalisation de l’hébreu. Alors qu’en dehors d’Israël, l’hébreu n’est réellement parlé que par des érudits, des rabbins (qui sont souvent les mêmes, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit), il est la langue quotidienne et officielle du pays. Mon grand-père paternel, né en Pologne en 1904, avait appris l’hébreu à l’école religieuse. Lors de son premier voyage en Israël dans les années 1950, il est descendu dans la rue au petit matin. Parmi toutes les surprises qui l’attendaient dans ce tout jeune pays, la plus extraordinaire fut de rencontrer un habitant parlant hébreu à son chien2.

Grâce au sionisme, donc, les “juifs de Kippour” israéliens peuvent, à la différence de leurs congénères français, lire et comprendre ce qu’ils lisent. Ressuscité alors que durant 2000 ans, il avait cessé d’être une langue vivante, l’hébreu est ici la langue de tous, ouvrant à chacun une fenêtre sur un monde autrefois réservé à une élite.

Je n’ai rien contre les films de Bergman, mais c’est la première fois que j’ai eu l’impression d’en faire partie. ↑

Bien entendu, le chien comprenait. Autrement, il n’y aurait rien d’étonnant à cette histoire. A Paris, on voit tous les jours des gens qui parlent à leur chien qui ne comprennent rien.

source : Causeur

Ce témoignage sur l'unicité israélienne pour Kippour est très émouvant.
Merci à toi Noach de nous l'avoir donné à lire.