Rapport d'étonnement

par Laurent Cudkowicz

Dans certaines entreprises, les nouveaux venus “passent à la moulinette” après quelques mois de présence. On leur demande de produire, souvent en présence du PDG, un “rapport d’étonnement”. De quoi s’agit-il ? Un œil neuf même beaucoup plus jeune que celui d’Ernest, le chef comptable qui est dans son bureau depuis à peine de vingt-cinq ans, voit certaines choses que les hommes d’expérience ne voient plus.

Un pays, a fortiori Israël, n’est pas une entreprise. Mais les pays, comme les entreprises, sont des aventures humaines. Et c’est à ce titre qu’il est intéressant de produire à leur sujet un rapport d’étonnement avant qu’il ne soit trop tard, autrement dit, avant que l’étonnement faiblisse.

Premier sujet d’étonnement : j’ai déjà eu l’occasion de vous parler de l’importance de l’apparence extérieure des juifs, en particulier des religieux. En fait, l’apparence extérieure fonctionne comme un marqueur (en tous cas pour un œil neuf) pour l’ensemble de la population du pays. Ainsi, certains habitants musulmans du pays prennent le bus, rendent visite à la Knesset (voir mon texte “C’est de l’hébreu“), entrent et sortent du palais de Justice, des centres commerciaux habillés de différents signes extérieurs religieux musulmans sans poser le même genre de problèmes que l’on peut rencontrer en France par exemple. J’entends par là que personne, contrairement à ce que l’on peut rencontrer en France, ni ouvertement, ni discrètement, n’émet la moindre remarque concernant cette spécificité vestimentaire et/ou religieuse. En revanche, on mesure littéralement le poids de l’inquiétude des voyageurs d’un bus lorsque celui-ci arrive à un arrêt auquel montent de nombreux voyageurs musulmans : cette jeune fille porte-t-elle une ceinture d’explosifs sous sa robe ? Arbore-t-elle le regard inquiet qui précèderait ce passage à l’acte ? Mon étonnement réside donc dans le fait que, bien qu’il y ait des raisons objectives de s’inquiéter de l’apparence extérieure d’une partie de la population du pays, l’aspect sécuritaire mis à part, cette apparence ne suscite aucune gêne.

Deuxième sujet d’étonnement : la question sécuritaire et la façon dont elle est vécue. Il y a dix jours, un jeune Arabe a lancé sa voiture sur un groupe de jeunes soldats en visite dans la vieille ville de Jérusalem. À en croire la presse, il avait décidé de se suicider parce qu’il avait été éconduit par sa cousine quelques heures auparavant. Sa famille a déclaré qu’il avait été victime d’un accident de la circulation. Quelle est la réaction de la population ? Pragmatique : dans la mesure du possible, elle sera prudente et vigilante en cas de regroupement sur un trottoir. De même au cours des derniers mois, deux Arabes ont utilisé un engin de chantier pour écraser tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage. Réaction de la population ? Même pragmatisme : au feu rouge, on jette des regards fréquents dans le rétroviseur pour s’assurer que le bulldozer du chantier voisin n’est pas “devenu fou”. Mon étonnement provient du fait que, face à ce qui pourrait générer des réactions hystériques, on n’observe que des attitudes résignées et raisonnables, à savoir : pas de réels changements dans la vie quotidienne, une très grande docilité et un respect durant les contrôles de sécurité à l’entrée des endroits publics.

Ce rapport d’étonnement sera prolongé dans les prochaines semaines, car les sujets ne manquent pas… jusqu’à ce que nous soyons réellement fondus dans la masse.

source :
Causeur