L'archipel du Goulasch.....

par Laurent Cudkowicz

Valérie et moi sommes retournés sur les bancs de l’école cette semaine. Notre oulpan[1.Cours intensif d’hébreu principalement destiné aux nouveaux immigrants.] a enfin commencé. Nous nous étions préparés à un grand bain de mélange des cultures avec nos petits camarades immigrants américains, britanniques, argentins, russes, éthiopiens, yéménites, brésiliens, slovaques, australiens et même belges (oui, on trouve des Belges à Jérusalem, c’est peut-être d’ailleurs l’un des seuls endroits au monde où en en trouve encore).

Malheureusement, nous avons eu droit à une très grande déception. La politique de l’oulpan qui nous a été assigné est de regrouper les élèves par mentalité. “Tous les Français, ensemble ! D’ailleurs, voyez comme nous avons raison, nous a-t-on fait remarquer. Vous avez tous, toutes nationalités confondues, été convoqué pour 8 h 30 ! Il est 8 h 55 : les Américains sont au travail depuis 26 minutes, et vous, les Français, n’êtes pas tous encore sortis du lit.” Nous avons eu beau montrer nos certificats de mentalité internationale. Rien n’y a fait. “Vous êtes français ? Vous restez là. Vous étiez là à l’heure ? Même en avance ? Tant pis.” Evaporés, les rêves de discussions multiculturelles en hébreu hésitant, les partages de recettes de cuisine avec Madame Goulaschwski de Budapest ou avec Monsieur Bentadjine de Montréal. Nous apprendrons l’hébreu avec nos voisins français et néanmoins amis. D’ailleurs, finalement ce n’est pas plus mal, parce que, au fond, en Sibérie, on est content d’être avec des proches… La Sibérie ? J’exagère, mais je ne parviens pas à oublier que c’est là qu’on nous enverra si nous ne faisons pas bien nos devoirs.

En effet, la deuxième caractéristique de notre oulpan, d’inspiration russe comme l’origine de son directeur, évoque certains événements qui se déroulèrent à Moscou. Tous les professeurs qui ont défilé devant nous en une semaine ont la même technique : “Ecoute ! Répète ! Réponds ! Vite ! Ecris ! Plus vite ! Répète à nouveau ! Encore !” Les étudiants réagissent diversement. “On se croirait sur un ring de boxe.” “Si on répond mal, c’est le goulag.” “Cette prof est une tueuse.” Moi, cela ne me déplait pas… Je retrouve l’efficacité israélienne dont je vous ai parlé avec plaisir précédemment. Alors évidemment, je me suis arrangé pour que Valérie ne soit pas dans la même classe que moi. J’ai souffert à la place de mon camarade de classe qui, alors qu’il était sur le grill de Madame Brejnev en personne, subissait en même temps la pression de sa femme qui tentait de le corriger… “Meskin1“, comme on dit chez nous.

On nous a promis qu’après cinq mois, au rythme de 5 matinées par semaine, de ce régime sévère, nous parlerons l’hébreu “de la rue”… Intéressant comme concept : en français, nous arrivions à passer pour des intellectuels, mais en hébreu, nous serons identifiés à des voyous de quartier. Je savais bien qu’émigrer en Israël serait une aventure sociale.

1-Le pauvre. ↑

source : Causeur